28/02/2022
«Je voulais lui montrer que j’existe. Je la connais bien, je n’en dis pas plus: ça va dégénérer ». Les mots d’André, 78 ans, à la barre du tribunal correctionnel de Montauban, ne sont pas prêts à rassurer Corinne, nous la prénommerons ainsi.
Depuis deux ans, ce maçon de Montpezat-de-Quercy, encore bon pied, bon œil, suit quotidiennement cette femme de 51 ans qui en paraît moins. Recroquevillée sur elle-même, les mains l’une contre l’autre, l’assistance commerciale qui a pris place sur le banc des parties civiles, doit faire face à celui qui lui fait vivre un enfer depuis des mois.
À la terrasse d'un café tous les matins, l'homme photographie la quinquagénaire à son travail
Tous les matins, le septuagénaire se stationne devant le travail de Corinne, et s’installe toujours à la même table d’un café dont l’angle donne sur le bureau de la quinquagénaire. « Plusieurs témoins vous ont vu la prendre en photos en rafale et la filmer du café », indique la présidente Virginie Baffet précisant que « la patronne n’a plus voulu vous servir en vous disant qu’elle ne cautionne pas ce que vous faites en tant que femme ». Ce manège se poursuit durant la journée lorsque Corinne fait ses courses. « Vous la suivez aussi pour la prendre en photo lorsqu’elle va dans une salle de sport », précise la juge indiquant que la victime a fini par déposer deux plaintes en août et novembre dernier, souffre d’un syndrome post-traumatique, avec des crises de peur, et un état dépressif. Elle s’est vue décerner six jours d’ITT (incapacité totale de travail). Des détails de ce quotidien sous pression permanente qui font sangloter Corinne sur son banc.
« Elle est en état de choc, qu’avez-vous à dire depuis votre garde à vue le 22 novembre dernier ?, l’interroge la présidente Baffet.
- Je reconnais, je regrette, ça s’est passé comme ça, mon avocat dira le reste, se retranche le prévenu tenant à deux mains la barre.
- Il s’est passé quoi ?, insiste la juge.
- Elle me doit de l’argent, je voulais qu’elle ne m’oublie pas, assure André.
- Un différend de 300 € pour des travaux chez son père que son mari vous a réglé…
- Pas du tout, ça, c’était le dernier acompte, il y a un différend sérieux de 15 mois de travail, se défend le septuagénaire.
- Ce n’est pas la question qui nous occupe, lui rétorque la présidente.
- Je la connais bien, je ne vous en dis pas plus, répond André avec un ton équivoque.
- En garde à vue, vous avez dit que vous auriez refusé ses propositions ?
- Oui, elle voulait me payer en nature les travaux mais cela ne m’intéresse pas, fanfaronne le mis en cause.
- Pourquoi la prenez-vous en photo et la suivez-vous partout alors ?
- C’est idiot, c’est dans sa tête.
- Vous n’avez pas du désir pour elle ?, enchaîne la juge.
- Oh ! oui, calmement, je lui passais les mains dans les cheveux, un bisou dans le cou, finit par lâcher le septuagénaire.
- Tous les jours au café pour la prendre en photo…, insiste la présidente.
- Elle me devait de l’argent, se retranche André dans son système de défense qui ne convainc personne. »
"L'affaire Jubillar"
Pas même son avocat qui sentant que son client lui échappe, reprend la main. « Vous avez l’impression d’avoir mal réagi ? lui demande Me Hadrien Saez obtenant un petit « oui » d’André. Face à lui, Me Nicolas Antonescoux rappelle le contenu des recherches faites par le maçon sur son téléphone : « psychopathe amoureux » et « l’affaire Jubillar ». « L’affaire Jubillar ? N’importe quoi ! », s’exclame André niant avec ironie la comparaison avec cette affaire. « Taisez-vous ! », tonne la présidente lasse qu’André coupe la parole à l’avocat de la partie civile. « Votre téléphone a été nettoyé avant votre convocation à la gendarmerie, lui rappelle la juge. Les photos et vidéos ont été effacées, vous saviez que ce n’était pas bien ce que vous faisiez ».
La lecture de l’expertise psychiatrique en dit long sur l’état psychologique d’André. « Il souffre d’une réaction de type paranoïaque dans une relation pas acceptée », écrit Dr Ollivier. « J’ai été surpris de la voir avec son père, j’ai voulu lui en parler, j’ai jamais vu ça », lâche André parlant d’une relation intime incestueuse de Corinne. « Votre perception, lui répond Virginie Baffet, de la réalité n’est pas bonne ».
« Ma cliente continue à s’imaginer le voir, elle est épuisée, vous lui avez pourri la vie », plaide Me Nicolas Antonescoux rappelant que le prévenu a aussi surpris Corinne alors qu’il se cachait dans une chambre au domicile du père de la victime. En début de soirée, mardi, le tribunal condamne André à 6 mois de prison assortis d’un sursis probatoire durant deux ans avec l’interdiction d’entrer en contact avec la victime, et de lui régler 2 000 € de préjudice moral ainsi que 600 € de frais d’avocats.